La semaine a été marquée par un événement boursier qui a fait grand bruit. Une compagnie moribonde, avec un modèle d’affaires dépassé s’est envolée en bourse, faisant rêver le petit investisseur. Que s’est-il passé ? Pourquoi c’est arrivé et est-ce une bonne chose? Cela a généré passablement de questions.
GameStop est comparable aux clubs vidéos Blockbuster des années 90 et offre à sa clientèle, des jeux vidéo neufs et usagers, des produits dérivés (t-shirts, affiches, peluches) à l’effigie des personnages populaires. Au Canada, on la connait mieux sous le nom de EB Games. Il n’y avait rien dans ses résultats financiers, ou dans les plans de la direction, qui justifiait que le titre s’envole. Cette envolée est ironiquement dûe à une stratégie pour faire plonger le titre en bourse afin d’enrichir ceux qui la mettent en place.
Personnellement, j’ai toujours considéré la vente à découvert comme un parasite boursier qui va à l’encontre de l’esprit des marchés, distorsionne les tendances, et qui est assimilable à du vol légal. J’espère que les régulateurs de marchés vont finir par interdire cette pratique déloyale qui a fait perdre beaucoup d’argent à des petits investisseurs qui n’en avaient certainement pas les moyens. Si en 2008 les régulateurs boursiers ont pu suspendre temporairement la possibilité de vente à découvert sur les sociétés financières qui menaçaient d’être victimes comme Lehman Brothers l’a été par des vautours spéculateurs à découvert, ils pourraient très bien bannir la pratique définitivement.
Voici comment la vente à découvert (short selling), fonctionne. Un investisseur percevant que le prix du titre boursier d’une entreprise a de fortes chances de connaître une baisse, peut miser sur cette probabilité. Il emprunte à un courtier des actions de la compagnie, qu’il vend immédiatement. Dans un relativement court laps de temps, l’investisseur devra remettre au courtier, les actions empruntées. Son espoir c’est que le prix de l’action ait baissé dans l’intervalle pour pouvoir l’acheter moins cher qu’il l’a vendu (il la rachète pour la remettre au prêteur). La différence entre le montant empoché et le prix payé, devient un profit. Ce participant au marché n’est pas un investisseur, c’est un spéculateur qui se fiche éperdument de l’entreprise, de ses employés et de leurs familles.
Parmi les acteurs des marchés boursiers, il y a les Fonds de couverture (Hedge funds), qui sont des fonds hautement spéculatifs qui utilisent toutes sortes de tactiques pour siphonner l’argent des investisseurs. Le fonds spéculatif Melvin Capital Mangement LP a ciblé GameStop et l’a lourdement vendu à découvert dans l’espoir quasi garanti de ramasser gros, comme ils le font d’habitude. C’était sans compter sur le tsunami qui les a frappé. Robinhood, une plate-forme transactionnelle relativement nouvelle (2013) permet aux petits investisseurs de faire des petites transactions, sans commission. Ils tirent leurs revenus des intérêts sur les prêts qu’ils font aux investisseurs, sur l’intérêt qu’ils encaissent sur les soldes d’encaisse laissés dans les comptes et sur la vente d’informations sur leurs clients, à des systèmes automatiques de transactions à haute fréquence (high-frequency trading), une autre tactique pour flouer le petit investisseur. Donc avec un nom commercial qui laisse croire aux petits investisseurs qu’on va reprendre aux riches et redistribuer aux pauvres, l’entreprise trahit ses propres clients. Du bon monde que sont Melvin et Robinhood, on dirait qu’ils sont amis.
Revenons à l’événement de cette semaine. Melvin a lourdement vendu à découvert le titre de GameStop et cette information, comme d’habitude, a circulé dans les forums de discussions pour manipuler le petit investisseur qui normalement vendrait ses actions pour suivre le gros joueur. Cependant, des influenceurs actifs sur le forum de discussions Reddit, ont suggéré à leur lectorat, de donner une leçon à Melvin en achetant massivement des actions de GameStop, à l’aide de la plate-forme Robinhood. Le mot d’ordre a été suivi et le cours du titre s’est envolé. Lorsque Melvin a vu qu’il allait perdre au lieu de gagner, ils ont commencé à racheter massivement des actions de GameStop pour couvrir leur position et remettre au courtier les actions empruntées, cela a catapulté le prix de l’action à plus de 416 $. On peut facilement comprendre que lorsqu’on vend à découvert une action à 20 $ et qu’on doit en panique la racheter au prix de 400 $, la perte est immense. Melvin aurait perdu plus de 2.7 Milliards de dollars en quelques jours. Le petit investisseur peut crier victoire en entendant le bruit du géant qui tombe au sol.
L’histoire ne s’arrête pas là. Jeudi, Robinhood a restreint les transactions sur les actions de GameStop pour « calmer le jeu », c’est noble. Ça l’est moins lorsqu’on fouille un peu et que l’on constate que Melvin Capital est la propriété de Citadel LLC qui finance Robinhood à la hauteur de 40 %. Hé oui, Melvin et Robinhood ne sont pas des amis, ils sont frère et sœur! Melvin a, on s’en doute, demandé au paternel de faire arrêter les transactions pour arrêter de perdre. En matière de conflit d’intérêts, c’est dur à battre. Évidemment, ce n’est pas passé inaperçu et un membre du Congrès américain a rapidement demandé au procureur général des États-Unis, d’ordonner à Robinhood de cesser de museler le petit investisseur.
Au final, l’action a chuté à 325 $ et il est fort à parier, que le titre va retomber à sa vraie valeur, 20 $. D’après moi, Melvin va essayer de se refaire en recommençant à le vendre…
Ce qui est triste dans l’histoire, ce n’est certainement pas qu’un vautour ait perdu 2.7 milliards de plumes, c’est le petit investisseur qui a acheté l’action à 416 $ pour essayer d’améliorer son sort et qui a perdu 22 % de son capital, et tous les autres petits investisseurs qui pensaient s’enrichir un tant soit peu et qui vont perdre leur chemise. Cela me rappelle une parole du sage Warren Buffet : « Contrairement à Dieu, le marché ne pardonne pas à ceux qui ne savent pas ce qu’ils font. »
La bourse, ce n’est pas un jeu et l’Autorité des Marchés Financier a d’ailleurs émis un communiqué cette semaine pour mettre en garde les investisseurs.
S’il y a une bonne chose que la vente à découvert permet cependant, c’est de mettre au jour, des fraudes boursières comme Enron, Tyco et Wirecard pour ne nommer que celles-là. Ce sont des vendeurs à découvert qui, en analysant les états-financiers, ont ont exposées à la lumière du jour les fraudes, en s’enrichissant au passage. Il ne faut donc pas jeter le bébé avec l’eau du bain, mais je crois qu’il est impératif que les régulateurs se penchent sur la vente à découvert afin de la règlementer pour éviter que les petits investisseurs ne soient, encore et toujours, la proie dans cet environnement féroce.
Les gestionnaires de portefeuille que nous utilisons pour le compte de nos clients ne pratiquent pas ce genre de stratagème et sont tous signataires des principes d’investissements responsables édictés par les Nations Unis, et c’est tant mieux.
Bon samedi.
Communiqué de l’AMF : https://lautorite.qc.ca/grand-public/salle-de-presse/actualites/fiche-dactualite/mise-en-garde-de-lautorite-a-legard-des-risques-associes-a-la-speculation-boursiere
Lettre du membre du Congrès
Extrêmement intéressant et instructif.
Merci Éric.
Merci Eric de ton explication, j’avais suivi cette semaine tout ce qui s’est passé avec GameStop sans savoir ce qu’il en était. Maintenant c’est plus clair. Toujours un plaisir de lire tes articles.
Sami Rassy
Merci d’avoir pris du temps d’un précieux samedi pour transmettre ces explications de la situation. Vous avez bien vulgarisé et ajouté un brin d’humour ce qui fait que c’est clair et rassurant.
Merci Éric.
Très enrichissant comme éditorial.
Juste une question. Est-ce là la raison pourquoi la bourse a chuté depuis quelques jours ?
Merci encore pour l’information.
Nabil Tarazi
En partie, pour trouver l’argent pour racheter les actions de GameStop, Melvin a dû procéder à la vente d’autres titres, ce qui a généré un mouvement de vente. Ce genre de situation ne dure généralement pas longtemps.
Merci Éric pour toutes ces infos. Je n’y connais rien mais, grâce à toi j’apprend un p’tit peu! Mais surtout, je me sent rassurée dans mes investissements. Encore merci et bonne fin de semaine.
Salut, j’avais lu l’article de La Presse…mais le tiens le dépasse largement. Facile à lire et très bien vulgarisé. Bravo !
Bonjour Éric
Très intéressant. Je n’avais aucune idée du concept Short Sell. Tu donnes une bonne explication claire en peu de mot
merci
Gros merci Éric pour ces explications. Effectivement très intéressant comme toujours et nous aide à mieux comprendre ce qui s’est produit.
Bel Article, Eric! Facile a lire et très informatif!
Merci Éric, très instructif!