Votez pour moi! (une analyse imparfaite du budget fédéral)

Je dois l’avouer, j’avais trouvé le titre de cet article, avant le dépôt du budget fédéral. Aux prises avec le scandale SNC-Lavalin qui n’en finit plus de ne pas finir, le gouvernement qui sera en élection dans sept mois, se devait de plaire à tous, mais on s’en doute, n’impressionnera pas beaucoup de monde. Oubliez les baisses d’impôts, la taxation sur le service NETFLIX ou des mesures fiscales surprises, ce qui a été présenté était en grande partie attendu et le reste, c’est du saupoudrage.

Si vous aviez voté sur la base de la promesse électorale d’atteinte de l’équilibre budgétaire en 2019, vous apprenez aujourd’hui qu’il s’agit d’une promesse brisée. En effet, la plus grande critique viendra probablement (mis à part l’opposition à la Chambre des communes) des comptables et conseillers financiers, car je ne féliciterais jamais un client qui me présente une prévision budgétaire déficitaire pour les quatre prochaines années! Évidemment, un gouvernement n’est pas un individu qui prend sa retraite un jour et qui a une capacité limitée à augmenter ses revenus. Le gouvernement a une existante infinie dans le temps et peut augmenter les impôts en cas de besoin. La justification proposée repose sur un besoin de stimuler l’économie, mais entre vous et moi, l’économie ne nécessitait pas vraiment cela, la prévision de croissance économique passe de 1.8 % à 1.9 %, le chômage est à son plancher historique… Remettons toutefois les chiffres en perspectives, 19 milliards de dollars de déficit sur un revenu de 338 milliards, c’est creuser la dette de 5,62 % de plus ou si vous voulez, c’est comme un ménage qui gagne 70 000 $ (revenu médian canadien pour un ménage), et qui emprunte 4 000 $ de sa marge de crédit. Ce n’est pas très préoccupant, pourvu qu’il y ait un plan de redressement, ce qui manque avec le budget d’aujourd’hui.

Bon. Mon 5 minutes de chialage quotidien étant presque épuisé, passons aux aspects positifs. L’ensemble de mesures les plus intéressantes sont celles qui touchent au régime d’accession à la propriété (RAP). L’actualité financière récente criait littéralement de moderniser le programme qui n’avait pas été modifié depuis plus de dix ans. La modification qui sera la plus utilisée par mes clients c’est l’augmentation de la limite de retrait (fait après les élections) du REER qui passe de 25 000 $ à 35 000 $. Une mesure qui ne coûtera pas grand-chose au gouvernement si je considère que j’ai une clientèle plus aisée que la population générale et que le retrait maximum permis du RAP n’est pas toujours atteint. En fait, selon l’Agence du Revenu du Canada, le retrait moyen en vertu du RAP se situe à 12 588 $. Disons qu’un couple de jeunes acheteurs de maison qui disposent de 70 000 $ de REER, ça ne coure pas les rues. Une mesure plus spectaculaire et inattendue se présente par l’introduction d’un prêt participatif sans intérêt, remboursé lors de la vente de la maison, offert par la SCHL aux acheteurs d’une première habitation, qui ont revenu combiné de moins de 120 000 $. Le terme « participatif » signifie que bien qu’il n’y ait pas d’intérêt réclamé durant la période du prêt, la SCHL recouvrera sa participation (5 % ou 10 % s’il s’agit d’une habitation neuve) au prorata lors de la vente. La valeur de l’habitation a doublé (en 36 ans normalement), le remboursement sera doublé. C’est très intéressant et novateur, mais il manque trop de détails pour que l’on pose un jugement éclairé. En effet, qu’arrive-t-il si la valeur de la résidence a diminué en raison d’un problème incontrôlable (construction d’usine à proximité, contamination des sols, vice caché non compensé) ou d’autres facteurs comme un divorce avec vente rapide, une vente de succession sans garantie légale et donc généralement en bas de l’évaluation municipale? Je doute que le gouvernement participe à la perte. D’autres questions? Qu’arrive-t-il en cas de divorce et que l’un des conjoints conserve la maison, il y a une vente technique, on doit rembourser la SCHL? Ai-je le droit de « racheter » mon partenaire gouvernemental avant de vendre la maison (quand l’hypothèque est payée par exemple) et si oui, selon quel mécanisme? Est-ce automatique ou l’acheteur peut refuser cet investisseur? Finalement, est-ce que ce partenaire financier gouvernemental va enregistrer une garantie hypothécaire pour éviter que le nouveau propriétaire n’hypothèque sa résidence au-delà d’un seuil sécuritaire pour que nous (collectivement) récupérions nos billes en cas de faillite? Trop de questions actuellement sans réponse.

Toujours pour le RAP, il sera désormais possible de profiter du RAP pour une personne divorcée ou séparée de son conjoint de fait afin de conserver la résidence ou d’en acheter une autre, sans avoir à attendre quatre ans en location comme c’est le cas actuellement. Je crois que c’est cette mesure qui sera la plus utilisée, car on estime que les chances (!) de divorcer se situeraient selon certaines recherches, à environ 67 % si le mariage est survenu après 1990.

Les autres mesures

Une nouvelle subvention de 5 000 $ pour l’acquisition d’une voiture électrique sera introduite. Avant de réserver votre Tesla, prenez note que c’est une subvention pour les véhicules de moins de 45 000 $. Remarquez que l’acheteur d’une Tesla, subvention ou pas, ne changera pas son choix. On peut cependant s’attendre à une baisse de prix pour la Chevrolet Bolt et la BMW i3.

Les personnes retraitées qui bénéficient du supplément de revenu garanti (SRG) ont maintenant le droit d’avoir un vrai emploi sans perdre cette aide gouvernementale. En ce moment, chaque conjoint voit son SRG disparaître après 3 500 $ de revenu conjoint annuel en surplus des pensions gouvernementales. Ce montant passe à 5 000 $ PAR conjoint et le SRG est diminué en partie jusqu’à ce que le revenu de travail atteint 15 000 $ chacun. Une belle mesure qui permettra à plusieurs retraités de sortir du travail au noir.

En rafale.

  • Allègement de la TPS pour les couples ayant recours à la procréation assistée.
  • Abolition des intérêts sur prêt étudiant dans les six premiers mois de la fin des études.
  • Création de l’Agence canadienne des médicaments pour mettre en place un régime canadien d’assurance-médicaments.
  • Distribution de 2.3 milliards de dollars pour compenser les agriculteurs assujettis à la gestion de l’offre (lait, œuf et volaille) en plus de 1,5 milliard pour garantir la valeur des quotas.
  • Distribution de 4.6 milliards de dollars sur cinq ans pour les peuples autochtones, probablement pour acheter le pardon dans l’affaire du congédiement de madame Wilson-Raybould…
  • De l’argent pour apporter l’internet haute vitesse partout, on verra, ce n’est pas la première fois que c’est annoncé, sans résultats concluants.
  • Allocation de 250 $ (dans un compte fictif) par année, si vous gagnez moins de 150 000 $, pour la formation professionnelle.

Ma déception…

J’ai toujours été pour l’équité et la fiscalité canadienne est justement basée sur l’équité du fardeau fiscal. Je sais, c’est surprenant de le lire, mais c’est la volonté du Législateur avec un grand L (la pensée non partisane). On a une fiscalité qui en principe ne devrait pas avantager un contribuable par rapport à un autre dans une situation différente. C’est ce qui justifie la hausse du taux d’imposition à mesure que les revenus augmentent, c’est ce qui explique qu’un employé disposant d’un fonds de pension, ne peut pas en mettre autant dans ses REER qu’un travailleur autonome.

Là où il y a toujours eu une injustice importante, c’est sur le droit de cotisation au REER. Si 18 % est le taux que le gouvernement a établi comme étant le minimum nécessaire pour s’offrir un niveau de vie à la retraite équivalent à ce qu’on avait en travaillant, pourquoi les mieux nantis n’ont pas droit à ce taux? Le montant maximum qui peut être contribué dans un REER annuellement (sans le rattrapage de cotisations d’années antérieures) est fixé en 2019 à 26 500 $ ce qui représente à peine 10 % des revenus d’un professionnel d’expérience (un grutier, un avocat, un ingénieur sénior, un médecin de famille, un dentiste, etc.). Pourquoi le taux d’épargne requis est-il moins élevé pour une personne qui a un revenu élevé? La classe moyenne a le droit d’avoir le même niveau de vie à la retraite, mais pas ceux qui ont un revenu élevé? Pourquoi cette iniquité? Quels principes moraux justifient cette injustice? Il aurait été facile d’enlever le maximum et de permettre à tous d’avoir le même droit à l’épargne. Évidemment, si l’on considère que moins de 1 % de la population canadienne gagne plus de 250 000 $, on ne s’étonnera pas que ces électeurs, déjà frustrés par la surtaxe de 4 % introduite dans le premier budget Trudeau-Morneau, soient laissés pour compte. Après tout, le titre du budget c’est : « Investir dans la classe moyenne », les pauvres, les riches, vous n’êtes pas considérés, c’est une logique de mathématique électorale.

Finalement, la beauté de ce budget, c’est qu’on ne peut pas être contre la vertu et il sera difficile pour l’opposition politique de critiquer une mesure autrement qu’en disant qu’elle est insuffisante. Il est difficile, voire impossible d’enlever une mesure de ce budget et bien paraître politiquement. Mise à part l’opposition politique, tous se diront demain satisfaits des mesures, pour ce qu’on en sait puisqu’il manque trop de détails pour les juger adéquatement, mais que le gouvernement aurait pu aller plus loin. C’est comme retenir le cheval pour en promettre plus lors de la campagne électorale de l’automne.

Grosse semaine, un budget aujourd’hui pour un gouvernement qui veut être réélu et un autre budget jeudi par un gouvernement qui vient de l’être.

À bientôt.

Eric

3 réflexions au sujet de “Votez pour moi! (une analyse imparfaite du budget fédéral)”

  1. Beau commentaire. Tu as un grand talent littéraire. Tu devrais écrire un livre humoristique sur la finance. Ça se vendrait comme des petits pains chauds.

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  2. Super intéressant de te lire . Et surtout pour ceux comme moi qui regarde juste les grandes lignes , merci de démystifier ce budget.

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